Les mesures urgentes ont été votées en septembre 2012 pour freiner « l’afflux massif de requérants d’asile », raccourcir la procédure et isoler des requérants qui se comportent mal pendant leur séjour en Suisse. En pratique, aucune de ces mesures ne permet de réduire le nombre de nouvelles demandes d’asile, de garantir une procédure beaucoup plus courte et plus efficace. Actuellement la durée moyenne d’une procédure d’asile n’est pas de 1’400 jours puisque cette période inclut, on le sait, la procédure d’asile et la période durant laquelle l’exécution du renvoi s’organise. Selon l’ODM, la durée moyenne globale des procédures est de 232 jours et près de 60% des demandes sont traitées en moins de six mois, soit quelques 180 jours. Avec la nouvelle loi sur l’asile, la Confédération ne gagnera que 40 jours de procédure, et cela en enlevant 20 jours de délai de recours au requérants d’asile qui passerait de 30 à 10 jours dans la procédure accélérée (Vivre Ensemble, Actualités: http://www.asile.ch/vivre-ensemble/category/actualites/). En outre, parmi les nouvelles dispositions de la loi sur l’asile qui font l’objet d’un référendum le 9 juin prochain, aucune de ces mesures ne permet de faciliter les renvois.
Il faut maintenir les procédures d’asile via les ambassades
Comment réduire le nombre de nouvelles demandes d’asile en Suisse ? En maintenant les procédures d’asile dans les ambassades où des auditions peuvent être organisées, des recherches de preuves et des enquêtes peuvent être facilement entreprises. Une procédure d’ambassade raccourcie et efficace permettrait de trier les requérants qui ont des motifs de persécutions de ceux qui n’en ont pas et de prévenir ainsi, avec explications à l’appui, le voyage risqué et inutile de personnes qui savent qu’en Suisse elles n’obtiendront jamais l’asile. Beaucoup de personnes pensent que la procédure d’asile via l’ambassade facilite l’afflux de requérants d’asile. En réalité elle permet surtout d’accueillir des personnes persécutées qui méritent de recevoir l’asile en Suisse. Depuis l’entrée en vigueur des procédures d’asile via l’ambassade en 1980, 46’369 personnes ont déposé une demande dans une ambassade mais seulement 4’386 personnes ont obtenu une autorisation d’entrée en Suisse, soit 9.4% du total des demandes. De ces 4’386 personnes seulement 3’904 personnes sont effectivement venues. Dans 1’233 cas la demande est encore pendante en première instance et sur les 2’671 demandes traitées, 2’084 personnes ont obtenu le statut de réfugié (78%) et 488 personnes ont reçu l’admission provisoire (18%). Un besoin de protection a été reconnu dans 96% des cas. L’instauration de la procédure d’asile à l’ambassade a permis de sauver 2’572 personnes en tout. Cette procédure ne facilite pas un « appel d’air » comme le prétendent certains, il est un outil intelligent et efficace pour apporter la protection à des personnes qui le mérite vraiment. L’argument selon lequel « la Suisse était le seul pays européen à offrir cette possibilité » pour justifier son abandon est faible et ne correspond pas à la tradition humanitaire unique de notre pays qui n’a pas regardé ce que faisaient les autres pour agir courageusement et avec ambition sur le plan humanitaire. Le CICR en est la preuve. L’argument selon lequel « les personnes menacées pourrons demander des visa humanitaires aux ambassades » ne tient pas non plus car les visas humanitaires ne sont octroyés qu’à des personnes « exposées à un danger imminent » ce qui élimine des personnes qui doivent faire la demande de visa dans un autre pays i.e. les érythréens au Soudan, les somaliens au Kenya, les syriens au Liban par exemple. Enfin, si certaines personnes espèrent une diminution des arrivées en Suisse grâce à l’abandon des procédures aux ambassades, elles sont naïves car le Haut-Commissariat aux Réfugiés n’hésitera pas à mettre d’avantage de pression sur la Suisse pour qu’elle participe plus généreusement aux programmes de réinstallation. Ainsi l’abandon des procédures d’asile aux ambassades ne réduira pas le nombre de requérants d’asile ou de réfugiés en Suisse.
Sur la définition du réfugié qui ne doit pas être modifiée
La proposition de modification de la définition du réfugié ne servira à rien et elle n’a pas lieu d’être. Le législateur a voulu barrer la route aux requérants d’asile érythréens mais la nouvelle disposition n’empêche pas les déserteurs de ce pays d’obtenir l’asile. Si l’application immédiate de cette nouvelle disposition a eu un certain effet sur le nombre des demandes d’asile en provenance de ce pays, avec une baisse constatée de 50% au premier trimestre 2013 par rapport à la même période en 2012, cette tendance ne sera pas poursuivie à moyen et long-terme à moins d’un changement de régime en Erythrée. Actuellement un réfugié érythréen qui déserte l’armée continue de recevoir l’asile en Suisse. De janvier à mars 2013, 373 requérants érythréens ont reçu l’asile et 53 ont reçu l’admission provisoire (1). Juridiquement, la désertion n’a jamais à elle seule constitué un motif d’asile. Dans ces interventions auprès des chambres fédérales le Haut-Commissariat aux Réfugiés a expliqué aux députés que l’interprétation de la Convention des réfugiés ne permettait pas de considérer la désertion seule comme un motif d’asile. D’ailleurs, Madame Simonetta Sommaruga et Monsieur Mario Gattiker, l’ont dit à maintes reprises : « la nouvelle disposition ne change rien à la définition du réfugié » (2). En bref : un requérant n’obtiendra pas l’asile simplement parce qu’il a déserté, il obtiendra l’asile si la désertion correspond à un acte d’affirmation politique contre un régime abusif et violent et si la désertion est punie de manière disproportionnée par des actes contraires aux droits de l’homme. Cette disposition est inutile et n’aura jamais les effets escomptés au départ.
Sur la création de centres spécifiques pour les requérants récalcitrants
Les mesures urgentes prévoient aussi la création de centres spécifiques pour requérants récalcitrants qui menacent la sécurité et l’ordre publics et qui portent sensiblement atteinte au fonctionnement des centres fédéraux. En 2011 et 2012, les interventions de police ont été plus fréquentes dans les centres et les foyers et certains requérants se sont plaints du comportement violent de certaines personnes incontrôlables. C’est un fait et personne ne le nie. Mais les centres pour récalcitrants ne sont pas des lieux adaptés ni pour des personnes dangereuses, ni pour des personnes simplement gênantes. Les politiciens qui se sont engagés en faveur de cette disposition ne sont pas encore parvenus à expliquer qui serait « un récalcitrant », ni comment la surveillance ou l’accompagnement se ferait dans les centres spécifiques. C’est cela qui est le plus inquiétant. Le droit pénal suisse n’est-il pas fait pour punir des personnes dangereuses pour autrui ? N’est-il pas dramatique d’établir des règles de confinement spéciales et floues destinées à une catégorie d’étrangers qu’on ne souhaite pas voir en Suisse ? Les explications de Monsieur Pierre Maudet (Conseiller d’Etat en charge du département genevois de la sécurité) et de Madame Simonetta Sommaruga (Conseillère fédérale, DFJP) lors de l’émission Infrarouge sur la RTS le 22 mai dernier n’ont pas été convaincantes à ce sujet et démontrent en réalité à quel point l’application pratique de cette disposition pose problème.
Sur la liberté de la Confédération durant les phases test de la nouvelle procédure d’asile
La nouvelle disposition dont on a probablement le moins parlé et qui donne une immense liberté à la Confédération est la disposition intitulée : « Procédure d’asile dans le cadre de phase test » (art. 112b). Dans les explications du Conseil fédéral soumise avec les bulletins de vote (feuillet rouge) aucune précisions ne sont données concernant cette disposition. Que permet concrètement cette nouvelle disposition ? Elle donne le pouvoir à la Confédération de remanier la procédure d’asile par voie d’ordonnance pendant deux ans sans autorisation préalable du législatif. Cette disposition permettrait par exemple de modifier l’application du nouvel art. 76 LEtr et d’ordonner la mise en détention administrative d’une personne déboutée dans un centre même si l’exécution du renvoi n’est pas imminente. Si les besoins en hébergement des requérants d’asile sont réels et doivent être adressés de manière concrète avec les cantons et les communes, les possibilités d’hébergement dépendent aussi de la coopération du Département fédéral de la défense qui n’a pas été exemplaire ces dernières années comme l’a précisé Monsieur Peter Arbenz récemment (3). En 1991, ce dernier a réussi à loger 41’663 demandeurs d’asile en coopérant étroitement avec les autorités cantonales et communales mais aussi avec le département militaire. En 1999, la Suisse a dû gérer plus de 47’500 demandes d’asile, héberger la totalité de ces personnes sans pouvoir profiter du système Dublin, qui permet chaque année de renvoyer des personnes vers nos pays voisins. En 2012, sur 28’631 demandes d’asile, 4’637 personnes ont déjà été transférées sur une totalité de 9’328 autorisations de transfert octroyées. Aujourd’hui on constate déjà une baisse des demandes d’asile. Au premier trimestre 2013, le nombre de demandes d’asile a baissé de 20% par rapport au premier trimestre 2012. A ce rythme, les chiffres de 2013 se retrouveront proches de ceux de 2011.
Conclusion
En réalité l’accélération des procédures d’asile passe avant tout par une augmentation conséquente du personnel qualifié de l’ODM qui a souffert de grandes coupes budgétaires durant les années Blocher. Cette augmentation est en cours mais elle reste insuffisante. Les décisions négatives ainsi que les décisions de non-entrée en matière se prennent déjà très rapidement. Le nombre de cas réglés en première instance augmente depuis plusieurs mois. Il compte surtout des décisions de non-entrée en matière et des décisions négatives. Pour ce qui est des personnes qui mériteraient une décision positive d’asile ou une admission provisoire, les bureaux de consultation juridique ainsi que l’OSAR insistent en vain depuis des mois pour que l’ODM agisse rapidement sur des dossiers qui traînent depuis des années. Les personnes les plus méritantes sont les moins bien traitées. Il faut rappeler encore une fois que la nouvelle loi sur l’asile ne prévoit pas de mesures pour faciliter les renvois. Beaucoup de personnes qui recevront une décision rapidement dans un centre fédéral après 100-140 jours se verront tout de même attribuées à un canton car elles ne pourront pas, pour de multiples raisons, être renvoyées dans l’immédiat. La question de l’hébergement des requérants d’asile a déjà été traitée par le passé et demande, en temps de crise internationale, une meilleures coopération entre les institutions et les autorités politiques cantonales et communales. Elle demande aussi une plus grande empathie de la part des résidents suisses vis-à-vis des requérants d’asile. Gardons surtout à l’esprit que la Suisse n’a pas été victime d’un afflux massif de requérants d’asile comme l’Italie en 2011 et le Liban aujourd’hui. Gardons aussi à l’esprit que 28’631 nouveaux requérants d’asile en 2012 représentent seulement 0.3% de la population officiellement résidente en Suisse et 1.6% de la population étrangère officiellement résidente en Suisse.
Je voterai donc NON le 9 juin prochain à la modification de la loi sur l’asile du 28 septembre 2012. Je vous recommande d’en faire autant et je me réjouis déjà d’avoir pu retourner quelques irréductibles de droite.
(1) Commentaires statistiques asile, ODM, 1er trimestre 2013.
(2) Mario Gattiker au Symposium suisse sur l’asile, Berne, janvier 2013. Madame Simonetta Sommaruga sur Infrarouge, le 22 mai 2013.
(3) Classe Politique, RTS, 5 mars 2012.
Votre analyse est bienvenue et je vous remercie de votre contribution excellente. A bientôt j’espère. Jasmine Caye
Suite à notre entretien par mail, je vous communique le point de vue suivant sur les statistiques de la procédure des ambassades auxquelles votre article fait référence. Malheureusement les statistiques pertinentes ne sont pas accessibles de manière transparente à tout un chacun et les chercheurs amateurs de mon espèce doivent recourir aux services ponctuels de l’ODM, seuls habilités à fournir au public qui en fait la demande des extraits de la base de données SYMIC contenant l’historique
des demandes d’asile de toutes catégories, en particulier de celles soumises à nos ambassades, de 1980, année d’introduction, au 29 septembre 2012, abolition entrée en vigueur.
Rédigeant un article, paru dans le Temps du 9 janvier 2013, je me suis plus que d’autres penché sur ces statistiques et crois avoir mis le doigt sur une erreur commune de leur interprétation pour évaluer le taux de protection de ces demandes. Par ce taux il faut entendre le rapport entre les besoins de protection reconnus par l’administration (décision positive d’octroi du statut de réfugié ou admission provisoire pour inopportunité humanitaire du renvoi) et les demandes d’asile déposées auprès de l’ODM une fois sur le territoire national ou à la frontière. Après éclaircissements fournis par un statisticien de l’ODM je crois pouvoir dire que le taux de 96% mentionné dans votre article ou ailleurs est surévalué, au moins pour la période concernée.
En effet, pour reprendre les chiffres sur lesquels votre article se fonde, ceux disponibles au 31 octobre 2012, des 46’369 demandes depuis l’existence de la procédure, 3904 ont pu se poursuivre sur le territoire. Parmi celles-ci 288 attendaient encore à fin octobre d’être prises en compte par l’ODM (suspens dits de 1ère instance). Ces suspens augmentent ou diminuent selon que l’ODM arrive à traiter plus ou moins de demandes qu’il n’en arrive de nouvelles. Contrairement aux cas traités, octrois de protection ou refus, j’ai acquis la conviction que ces suspens sont un effectif et ne doivent pas être cumulés lorsqu’on totalise les flux de plusieurs années. Les cas traités sur une période s’évaluent en totalisant les entrées de nouveaux cas annuels et en soustrayant la différence entre les suspens finaux et les suspens initiaux, ces derniers étant nuls dans le cas qui nous occupe depuis l’origine de la procédure. A fin octobre 2012 on comptait donc 3904-288=3616 (et non 2671 si on cumule tous les suspens, d’ailleurs nuls jusqu’en 1995) demandes en ambassades ayant abouti à une décision de première instance.
Parmi celles-ci, on compte bien en revanche 2084 obtentions du statut de réfugié et 488 admissions provisoires, soit tout à fait comme le proclament les adversaires de la suppression de cette procédure, 2572 personnes auxquelles les autorités suisses ont conféré une protection indispensable. (N.B. Ces chiffres diffèrent selon le mois de clôture. Ceux livrés un mois plus tard, par exemple, voient encore le nombre de cas en suspens augmenter de 288 à 328, l’année 2012 étant atypiquement sévère en ne reconnaissant un besoin de protection qu’à moins d’une trentaine de personnes, dix fois moins que l’année précédente).
S’il convient donc de protester avec vigueur contre la suppression d’une procédure permettant à des personnes sérieusement menacées de trouver refuge dans notre pays, est-il judicieux de la parer de toutes les vertus en mettant en avant au titre de son efficacité un taux de reconnaissance exceptionnellement élevé de 96% ? Ce taux correspond aux 2572 octrois de protection à octobre 2012 sur un total de 2671 cas traités depuis 1980, alors que nous évaluons ces derniers sur la même période à 3616, ramenant le dit taux à une performance déjà impressionnante de 71%. L’année 2012, déjà amputée d’un quart par l’entrée en vigueur en urgence de la loi, est pourtant atypique par le très faible taux de protection accordée, peut-être par anticipation de la disparition de la procédure. En éliminant cette année charnière de l’épure, et en appliquant systématiquement la définition donnée des suspens de 1ère instance, les taux de protection sont encore bien plus élevés. Ils dépassant allègrement les 80% et côtoient parfois les 95%, au moins depuis 1995, date à partir de laquelle l’ODM s’est montrée dans l’incapacité de résorber ses retards de traitement et les suspens de 1ère instance n’ont cessé de croître jusqu’à la décrue constatable en 2012.
Pour conclure, en dépit des incohérences apparentes des données statistiques portant sur des effectifs restreints, de changements de définitions depuis l’introduction du système SYMIC en 2008 rendant l’interprétation rétrospective malaisée et du manque d’accès autonome aux données sous contrôle de l’administration, il est indéniable que le taux de protection est quelque quatre fois supérieur pour les dépôts de demande en ambassade que pour celles déposées à partir du territoire. Nous laissons le lecteur juge s’il faut pour autant louer l’efficacité d’une procédure que les autorités s’entêtent à abandonner aux manipulateurs d’opinion xénophobes, alors qu’elle repose d’évidence sur un socle de préfiltrage en amont relativement draconien de même niveau, refoulant plus de 90% des demandeurs.
Bonjour et merci pour vos commentaires. Cet article était d’abord destiné au Temps. Mais il n’a pas été pris. Dommage. Oui peut-être que Genève dira non, mais on peut être surpris. Je serais ravie de lire vos autres commentaires sur les ambassades. Je vous encourage à le faire sur ce blog par contre, comme ça tout le monde en profite. Jasmine Caye
Toutes mes félicitations pour cet article. Hélas il vient avec un peu trop de retard pour espérer véritablement renverser le désastreux cours des choses déclenché par le parlement et l’exécutif sous la houlette de Mme Sommaruga pour la votation du 9 juin. J’espère encore pourtant que le score de Genève au moins infligera le plus cruel des démentis à tous ceux qui s’appuient sans vergogne sur la prétendue adhésion populaire à l’ignominie organisée qu’ils flattent à chaque occasion pour savonner la planche aux requérants légitimes. En particulier, j’espère que la honteuse candidature implicite du canton de Genève, par la voix du frais émoulu conseiller d’Etat, M. Pierre Maudet, finira dans les oubliettes devant une claire volonté du peuple genevois (évidemment privé des voix de 40% de sa population résidente étrangère sur cet objet fédéral) s’opposant à l’urgence supposée de raboter ce qui reste du droit d’asile.
Je me permettrai de vous écrire par mail des commentaires plus techniques sur le cas des ambassades.