Communiqué de presse du Tribunal administratif fédéral, 17 janvier 2020.
Dans sa jurisprudence récente, le Tribunal administratif fédéral (TAF) avait déjà constaté, s’agissant de la prise en charge des familles transférées vers l’Italie dans le cadre du règlement Dublin, que les assurances données par les autorités italiennes suite à l’entrée en vigueur du décret Salvini étaient trop générales. L’arrêt E-962/2019 du 17 décembre 2019 confirme et concrétise cette jurisprudence : le transfert des familles en Italie doit être suspendu, tant et aussi longtemps que les autorités italiennes n’ont pas fourni des garanties plus concrètes et précises sur les conditions actuelles de leur prise en charge. Le TAF étend en outre son analyse aux personnes souffrant de graves problèmes de santé et nécessitant une prise en charge immédiate à leur arrivée en Italie. Pour ces dernières, les autorités suisses doivent désormais obtenir de leurs homologues italiennes des garanties formelles que les personnes concernées auront accès, dès leur arrivée en Italie, à des soins médicaux et à un hébergement adapté.
Entré en vigueur le 5 octobre 2018 et adopté en tant que loi fin novembre 2018, le décret-loi 113/2018 sur la sécurité publique et l’immigration, mieux connu sous le nom de décret Salvini, a considérablement modifié le système d’accueil des requérants d’asile en Italie. En particulier, depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle législation, les personnes transférées en Italie en vertu du règlement Dublin n’ont plus accès au système d’accueil « de seconde ligne », qui était auparavant assuré au travers du système SPRAR (Sistema di protezione per richiedenti asilo e rifugiati). Ce dernier était mis en œuvre dans des centres décentralisés de petite taille et offrait des mesures d’intégration ainsi qu’une prise en charge adaptée aux requérants d’asile particulièrement vulnérables, comprenant notamment les familles et les personnes gravement atteintes dans leur santé. Suite à l’adoption du décret Salvini, les requérants d’asile – y compris les personnes transférées en vertu du règlement Dublin – sont désormais pris en charge dans les centres d’accueil de « première ligne », à savoir de grands centres collectifs gouvernementaux ou des structures temporaires d’urgence.
Absence de violations systémiques
Dans son arrêt E-962/2019, le TAF procède à une analyse approfondie du nouveau système d’asile en Italie et des changements législatifs intervenus depuis l’automne 2018. Il constate que le système d’asile italien comporte un certain nombre d’obstacles susceptibles d’entraver l’accès immédiat des requérants d’asile à la procédure d’asile et aux prestations d’accueil. Il relève en outre que les standards en matière d’accueil et d’accès à la procédure d’asile varient considérablement d’une région à l’autre et observe une détérioration des conditions d’accueil dans les centres d’hébergement, en particulier pour les personnes vulnérables ou nécessitant un encadrement psychologique spécifique.
Le TAF retient cependant que l’accès à une procédure d’asile conforme aux exigences du système Dublin est en principe garanti en Italie, même s’il est fréquemment retardé en pratique. Il en va de même de l’accès général à des conditions de vie minimales durant la procédure d’asile, et ce même si les conditions d’accueil dans les centres présentent de grandes disparités. Le TAF conclut dès lors à l’absence de violations systémiques dans la procédure d’asile et le système d’accueil en Italie, également sous l’empire de la nouvelle législation. En conséquence, il n’y a pas lieu de renoncer au transfert de tous les requérants d’asile vers l’Italie.
Garanties de prise en charge adéquate requises pour les familles et pour les personnes souffrant de graves problèmes médicaux
Le TAF admet néanmoins des restrictions pour les familles ainsi que les personnes atteintes de graves problèmes de santé. Pour ces groupes de personnes vulnérables, les transferts « Dublin » vers l’Italie ne peuvent être exécutés que lorsque les autorités italiennes ont préalablement fourni des garanties individuelles portant sur une prise en charge et un hébergement adaptés.
Cet arrêt est définitif et n’est pas susceptible de recours au Tribunal fédéral. Les présidents de chambre des Cours IV, V et VI ont décidé le 15 janvier 2020 de publier cet arrêt en tant qu’« arrêt de référence ».
- Communiqué de Presse du 17 janvier 2020
- Arrêt TAF 17.12.2019: E-962_2019
Enfin un (petit) pas dans la bonne direction! Mais cela fait 10 ans qu’il aurait dû être décidé, et l’invocation du décret Salvini n’est qu’un pauvre cache-sexe pour le TAF, dont les juges savent très bien, et depuis des années, que le système italien, d’une façon générale, ne respecte pas le droit à l’asile (parce que toute l’Europe se décharge sur l’Italie). Comme toujours on nous délivre un jugement de Salomon qui n’est qu’un triste compromis entre la réalité et ce qui est compatible avec la politique très restrictive de la Suisse, dont la procédure « à la Sommaruga » cherche à profiter au maximum des « avantages » de Dublin pour un pays placé au cœur de l’Europe géographique.
De façon plus générale, il faut le souligner, le drame de notre pratique judiciaire, c’est que, s’il y a quelques juges courageux qui rendent parfois des arrêts remarquables, ceux-ci arrivent toujours avec des années de retard. Car lorsque la situation dans un pays d’origine ou de passage change, il en faut du temps pour que l’information nus parvienne, pour que Amnesty International ou Human Rights Watch rende un rapport étayé, pour que celui-ci soit examiné, disséqué, soupesé, que l’on prenne la mesure des pressions politiques, que l’on attende une jurisprudence européenne parce que l’on n’ose pas dire le droit les premiers, etc. etc. Et pendant ce temps, les personnes persécutées le restent sans refuge possible, meurent sous la torture, se noient en Méditerranée et survivent dans des conditions inhumaines. Triste « justice ».