Renvoyer d’abord, Protéger ensuite

Selon, Tao Pham, juriste-mandataire à ELISA (Tattes), les instances fédérales adoptent frénétiquement des mesures tendant à niveler vers le bas le droit d’asile en Suisse. L’adoption de telles mesures est justifiée par ses décisionnaires comme nécessaires pour freiner l’afflux de nouveaux demandeurs d’asile en Suisse mais également, pour réduire considérablement le retard accumulé dans le traitement des demandes pendantes devant les organes fédéraux. Dans ce contexte politique assimilable à celui d’un pays en état d’urgence, nous ne pouvons que nous interroger sur le traitement des demandes d’asile des ressortissants syriens qui eux subissent une guerre. En effet, leurs demandes sont parfaitement fondées et la question du renvoi est inexigible et illicite. Pourtant, les autorités considèrent le traitement de leurs demandes comme « non prioritaire ».Or, nous ne comprenons pas la ligne directrice adoptée par l’Office fédéral des migrations. Plusieurs raisons forgent notre scepticisme : Selon l’article 4 de la Loi sur l’Asile, il est prévu que : « La Suisse peut accorder la protection provisoire à des personnes à protéger aussi longtemps qu’elles sont exposées à un danger général grave, notamment pendant une guerre ou une guerre civile ou lors de situations de violence généralisée. »

Pas un jour ne passe, sans que les médias fassent état des dernières violences voire massacres perpétrés en Syrie. Le conflit a débuté en mars 2011, soit il y a plus d’un an et demi. Autant, il se justifiait que les autorités ne se précipitent pas dans les trois premiers mois à accorder une protection provisoire aux requérants syriens, autant cette timidité parait incompréhensible aujourd’hui.

Les violences à travers le pays ont fait au moins 32 000 morts (dont près de 23 000 civils), depuis le soulèvement contre le régime, selon un décompte de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

Signe de l’intensification des violences, environ 1 000 personnes ont péri au cours de la seule semaine passée[1], a précisé cette organisation basée en Grande-Bretagne qui s’appuie sur un large réseau de militants, avocats et médecins sur le terrain. Autrement dit, outre des motifs plus personnels que le/la requérant-e aura à démontrer afin de se voir accorder le statut de réfugié (il/elle serait personnellement visé-e pas des menaces en raison de son profil ou ses convictions), l’admission provisoire devrait être accordée a minima dans tous les cas. Que ce soit, dans la Loi sur l’Asile ou la Convention de Genève relative au statut des réfugiés liant la Suisse, la question de la protection à accorder intervient avant celle du renvoi. Or, nous constatons que toutes les mesures dites urgentes pour remédier à l’accumulation de retard accusé par l’ODM consistent à renvoyer d’abord les personnes déboutées avant de venir en aide aux personnes dans le besoin. Une politique plus humanitaire commanderait l’inverse. En tant que bureau de consultation juridique et mandataires, nous sommes les premiers à admettre qu’il faut remédier aux problèmes de l’ODM dans le cadre du traitement des demandes d’asile toujours plus nombreuses. Toutefois, nous prônons une approche plus humaine, mais répondant également à une logique chiffrée : plus de 1400 personnes ressortissantes de Syrie sont actuellement en attente de réponse. 1400 « dossiers » que l’ODM pourrait s’alléger de manière incontestable. Ce chiffre n’est pas négligeable. Ceci pour dire que nous ne pouvons que nous interroger sur l’essence même du droit d’asile et la perception qu’en ont les autorités suisses actuellement. S’agit-il d’un droit voire d’un devoir de protéger les personnes qui fuient un destin tragique, ou d’un système de contrôle migratoire ? L’exemple des syriens en est emblématique.

Article publié dans la Newsletter d’ELISA, novembre 2012


[1]              Source :Agence France Presse. Dépêche du 8 octobre 2012

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