« Bilan de l’asile: ce que le Secrétariat d’Etat aux migrations passe sous silence » est l’opinion d’Aldo Brina (1) sur la nouvelle procédure d’asile qui a été mise en œuvre le 1er mars 2019 et dont les succès ont été loués dans un récent communiqué du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Cette nouvelle procédure mérite certaines critiques comme il l’écrit dans une Opinion publiée dans Le Temps, mercredi 12 février 2020.
Vous pouvez lire l’article sur le site du journal Le Temps ou le lire ci-dessous.
Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) s’est vanté la semaine dernière dans un communiqué de la bonne marche de sa nouvelle procédure d’asile, mise en œuvre le 1er mars 2019. Cette information, partielle et partiale, mérite quelques commentaires critiques.
Premièrement, il faut souligner que la mise en œuvre de cette grande restructuration a bénéficié d’une période exceptionnelle: jamais, depuis 2007, aussi peu de nouvelles demandes d’asile n’avaient été déposées en un an (environ 14 000). Le système prétendument meilleur n’a donc été testé qu’à bas régime. Les fluctuations du nombre de demandes étant la norme dans le domaine de l’asile, attendons de voir ce qui se passera lorsque les demandes d’asile remonteront au-dessus des 20 000 par an. La nouvelle procédure, compressée à quelques jours, menée à une cadence infernale, pourrait rapidement dysfonctionner en cas d’augmentation du nombre de cas à traiter, en raison notamment de difficultés à trouver les ressources humaines nécessaires (fonctionnaires, interprètes, représentants juridiques), et de la complexité à planifier les différentes étapes de procédure.
«Des défis à relever»
Même à bas régime, le SEM relève lui-même, pudiquement, qu’il a encore des «défis à relever», parmi lesquels les problèmes d’accès des demandeurs d’asile à des médecins. La possibilité de voir un médecin est essentielle pour les requérants d’asile afin, d’une part, d’être soignés et, d’autre part, d’établir des problèmes médicaux venant attester des motifs d’asile, ou d’inexigibilité de l’exécution du renvoi. Selon l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, en moins d’une année, le SEM a été retoqué plus de cinquante fois par le Tribunal administratif fédéral pour avoir pris des décisions sans tenir compte de l’état de santé des requérants d’asile. Vu les enjeux en présence pour les requérants d’asile, il ne s’agit pas d’un «défi à relever», mais d’une défaillance systémique grave dans le devoir d’instruction qui incombe à l’autorité.
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Par ailleurs, le SEM note que ce problème découlerait de l’absence de médecins qualifiés. C’est faux, ces médecins existent: à Lausanne et à Genève, par exemple, des services spécifiques ont développé des compétences relatives à la prise en charge de personnes migrantes avec des problématiques liées à la guerre, aux tortures, au stress post-traumatique. C’est donc bien le SEM qui, en voulant faire des économies, a choisi de placer ses centres en rase campagne, et ce faisant a délibérément provoqué le non-accès des requérants d’asile aux structures de soins spécialisées. C’est pour favoriser l’accès aux soins, mais aussi à la défense juridique indépendante et plus globalement à la société civile que les associations ont, dès le début de la restructuration, exigé que les centres fédéraux d’asile soient situés à proximité des centres urbains. Elles n’ont pas été entendues.
Passages dans la clandestinité
Autre zone d’ombre: les disparitions. La procédure accélérée engendre une augmentation des passages dans la clandestinité de requérants d’asile. Le SEM n’évoque pas cette situation. De par ce phénomène, nous retrouverons certainement des personnes vulnérables et précarisées dans les grandes villes, où elles seront demandeuses de prestations minimales fournies par des services sociaux et des associations (abris d’urgence, repas, soins, etc.). Mais, dès lors que ces personnes sont sorties des statistiques de l’asile, la question n’intéresse plus le SEM: il s’en lave les mains, laisse les cantons et les communes se débrouiller avec l’effet collatéral de sa politique.
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Enfin, dans son bilan, le SEM présente d’un côté la statistique des cas expédiés en procédures accélérées et ceux traités dans des procédures étendues. De l’autre côté, il produit les taux de statuts de protection octroyés par rapport au taux de rejet des demandes, tous types de procédures confondus. Or, c’est bien le croisement de ces deux informations qui est crucial. Le SEM devrait publier une statistique des statuts octroyés (asile, admission provisoire ou rejet de la demande) par type de procédure (accélérée ou étendue). Celle-ci permettrait de comprendre: quelles procédures ont été accélérées? Les procédures de renvoi ou les procédures d’octroi de protection? Nous ne le saurons pas, et c’est regrettable.
(1) Aldo Brina est Chargé d’information et de projet du Secteur réfugié au Centre social protestant, Genève.