Les relocalisations d’enfants mineurs non accompagnés sont possibles malgré le COVID-19 — Le temps des réfugiés

Article publié sur le blog Le temps des réfugiés (Le Temps) le 28 avril 2020.

C’est presque inimaginable. Les relocalisations d’enfants mineurs non accompagnés bloqués depuis des mois sur les îles grecques sont enfin possibles et ce malgré la fermeture des frontières dues au COVID-19. Il suffit de volonté politique et de bonne coordination pour permettre à des enfants non accompagnés (3 à 15 ans) bloqués depuis des mois en Grèce de faire le voyage vers le Luxembourg et l’Allemagne. Les images montrant des enfants très jeunes monter dans l’avion qui doit les mener en Allemagne font tellement de bien.

Elan de solidarité envers les enfants mineurs non accompagnés en Grèce

 

Début mars, de nombreuses organisations humanitaires ont alerté les Etats membres de l’Union européenne sur la situation humanitaire inquiétante dans les centres hotspots en Grèce et demandé à ce que les enfants mineurs non accompagnés soient rapidement relocalisés. Plusieurs Etats ont répondu à cet appel. C’est le cas de l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, la France, l’Irlande, la Lituanie, le Luxembourg et le Portugal, qui se sont mis d’accord sur la relocalisation progressive de 1600 mineurs non accompagnés bloqués sur les îles grecques depuis des mois. Les promesses de relocalisation concernent aussi des mineurs non accompagné sans attaches familiales en Europe.

 

Premières opérations de relocalisation

 

Le 15 avril, 11 enfants se sont envolés vers le Luxembourg, le 18 avril  49 enfants (entre 3 et 15 ans) sont arrivés en Allemagne, d’autres opérations de relocalisations vont suivre ces prochaines semaines. La Suisse rejoindra l’effort avec le transfert imminent de 22 mineurs non accompagnés qui ont de la famille en Suisse (1). 

 

En Grèce, l’organisation METAdrasi a participé aux quatres missions d’accompagnement des enfants sélectionnés pour les relocalisations vers le Luxembourg et l’Allemagne et parle des missions les plus complexes et les plus exigeantes jamais réalisées sur les 5 100 missions entreprises au cours de neuf dernières années (2). Selon Lora Pappa, fondatrice de l’organisation “ces transferts représentent une grande réjouissance et montrent que les choses se font rapidement lorsqu’il y a la volonté politique.”

 

 

La détermination de l’intérêt supérieur des enfants et le rôle des tuteurs

 

De la récupération des enfants dispersés sur les îles, à leur embarquement en dernière minute sur les ferry en partance pour Athène, à l’entretien, aux examens médicaux, à leur décollage, il n’a fallu qu’une courte semaine pour organiser le départ de plus de 50 enfants entre 3 et 15 ans.  Un véritable parcours du combattant.

 

A commencer par l’entretien personnalisé appelé “BID” (Best Interest Determination). Cette étape est très importante puisqu’elle doit établir l’intérêt supérieur de l’enfant surtout lorsqu’il est supposé rejoindre non pas un père ou une mère, un frère ou une soeur, mais un cousin adulte, une tante éloignée ou … personne. En amont de cette étape, ce sont les tuteurs responsables de l’accompagnement de l’enfant dès son arrivée en Grèce qui connaissent le mieux le dossier de l’enfant. Leur rôle est donc principal (3). 

 

C’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui compte. Nos tuteurs sont en contact réguliers avec les enfants non accompagnés sur les îles et aussi sur le continent. Ce sont eux qui connaissent les enfants, leurs dossiers, leurs parcours, leurs liens familiaux en Europe lorsqu’il y en a. C’est pour ça que notre rôle est important dans l’organisation des relocalisations, ce que les autorités grecques et le Haut-commissariat des Nations unies (UNHCR) reconnaissent”, m’explique Lora Pappa.

 

Dans quelques jours, l’Agence de droits fondamentaux de l’UE (FRA) publiera un document sur les bonnes pratiques de réinstallations d’enfants non accompagnés depuis la Grèce. Les recommandations se basent sur une recherche et près de 50 entretiens menés entre novembre 2019 et mars 2020 en Belgique, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Malte, aux Pays-Bas et au Portugal. L’une de ses recommandations est la création d’un pôle de tuteurs exclusivement destinés à l’organisation des relocalisations d’enfants mineurs non accompagnés. Le rapport mentionne d’ailleurs l’expertise de METAdrasi et recommande qu’elle puisse continuer de jouer un rôle clé dans cette procédure en collaboration avec le Centre national de la solidarité sociale (EKKA). 

 

Examens médicaux de rigueur

 

L’autre étape  importante est l’examen médical surtout avec l’épidémie du Covid-19. Aucun enfant malade n’est admis pour le transfert. Tous les enfants sélectionnés pour les relocalisation sont soumis au test de dépistage du Covid-19 ainsi qu’à d’autres examens médicaux. Pour l’instant les autorités n’ont pas annoncé avoir décelé de cas d’infection au Covid-19 parmi les requérants d’asile sur les îles. Seulement sur le continent dans trois camps différents placés en quarantaine (3). 

 

Renoncer aux conditions de relocalisations trop restrictives

 

Le Luxembourg et l’Allemagne ont d’abord poser des conditions trop restrictives à la relocalisation. En acceptant initialement 12 enfants de Syrie âgés de moins de 14 ans sans perspectives de regroupement familial, le Luxembourg posait des conditions irréalisables car la grande majorité des enfants syriens ont de la famille dans d’autres pays européens et n’auraient pas été éligibles. L’Allemagne quant à elle demandait au départ que les enfants ne soient que des filles de moins de 14 ans ayant de graves problèmes de santé. Puis elle a inclu les garçons de moin de 14 ans sans restriction de pays d’origine et elle a accepté d’accueillir des enfants qui pour la plupart n’ont pas de famille en Allemagne. 

 

Le règlement Dublin établit les critère de responsabilité dans l’examen de la demande d’asile de mineurs non accompagnés. Il prévoit que ce dernier pourra rejoindre un membre de sa famille (père, mère frère, soeur) ou un proche (oncle, tante, cousin) situé dans un autre Etat Dublin en respectant le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et que si nécessaire les Etats membres peuvent déroger aux critères de responsabilité pour des motifs humanitaires et de compassions (article 8, para. 13, 16, 17). Ainsi la relocalisation d’enfants mineurs non accompagnés sans perspectives de regroupement familial est déjà prévu dans le règlement Dublin. Dans l’application de ce texte, les Etats parties, dont la Suisse, ont pour habitude de “minimiser leurs propres responsabilités et maximiser les responsabilités d’autrui” et ils ont longtemps agit, comme l’explique le Professeur Francesco Maiani, “à la limite de ce qui est permis par le Règlement (…) en imposant des exigences excessives de preuves de liens familiaux.”(5)

 

Engagements de la Suisse 

 

Le 21 avril, la Suisse annonçait renforcer son aide aux mineurs dans les camps de réfugiés en Grèce avec un crédit supplémentaire de 1,1 million de francs pour des projets menés par des organisations d’aide. Cette aide avait déjà été annoncée en février dernier. En plus la Suisse a promis de faire venir 22 enfants non accompagnés qui ont de la famille en Suisse. Leur arrivée est imminente. Cette aide est un bon départ. Mais le gouvernement suisse doit aller plus loin. 

 

La Suisse pourrait être un centre de transit pour les enfants mineurs non accompagnés devant rejoindre leur familles dans d’autres pays européens conformément à ce qui est prévu par le Règlement Dublin. La Suisse rendrait un immense service à la Grèce qui serait déchargée du travail administratif lourd impliquant les démarches compliquées de réunification. Cela aiderait surtout beaucoup les enfants concernés, confinés depuis des mois dans des camps invivables, dangereux et malsains. La Suisse devrait aussi envisager, comme d’autres pays européens, accueillir des enfants mineurs non accompagnés sans liens familiaux en Suisse,”suggère Lora Pappa.

 

De plus en plus de voix s’élèvent pour que la Suisse fasse encore davantage pour la Grèce. Plus de 100 organisations humanitaires en Suisse, de nombreux commentateurs dans les médias suisses et certains politiciens et partis politiques suisses ont appelé le gouvernement suisse à accueillir une partie des réfugiés pris au piège dans le camp de réfugiés de Moria surpeuplé et insalubre sur l’île de Lesbos en Grèce. 

 

Peut-être que le vent tourne. Le 23 avril la Commission des institutions politiques du Conseil national s’est penchée sur la situation des réfugiés en Grèce. Elle a décidé de déposer une motion chargeant le Conseil fédéral de “s’engager au niveau européen pour une amélioration substantielle de la situation dans les îles égéennes et de s’investir en faveur d’une réforme des accords de Dublin, afin qu’une répartition plus juste et plus équilibrée des réfugiés soit opérée” (6). 

 

Comme l’explique Alexandra Dufresne (7) pour Swissinfo.ch “la Suisse est, par habitant, l’un des pays les plus riches du monde avec une forte tradition humanitaire. Elle dispose d’une communauté d’ONG exceptionnelle, bien organisée et solide, désireuse et disposée à aider.” 

 

Lire aussi: 

 

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  1. Lire à ce sujet le billet de METAdrasi expliquant l’opération de transfert des enfants des îles au continent. 
  2. Voir en particulier l’article 8 du règlement Dublin III établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), 26 juin 2013.
  3. Jusqu’à fin 2019, le réseau de tuteurs de l’organisation METAdrasi était financé par l’UE. Aujourd’hui l’ONG a dû restreindre le nombre de tuteurs suite au non renouvellement du soutien financier. Le réseau de tutelle se compose de membres qui agissent en étroite coopération avec les procureurs des mineurs et avec les procureurs de première instance dans leurs zones d’intervention. Il intervient à Athènes, Thessalonique, Kavala, Orestiada, Lesbos, Chios, Samos, Kos, Leros, Thiva, Chalkida et Ioannina. Il prend en charge les mineurs détenus ou hébergés dans des centres d’hébergement et des camps ouverts ou fermés.
  4. Sur le continent l’Organisation internationale des migrations (OIM) a mis en quarantaine trois structures où des cas d’infection ont été décelés. Voir cette information:https://www.iom.int/news/iom-responding-new-covid-19-outbreak-greece.
  5. Francesco Maiani, L’Unité de la famille sous le Règlement Dublin III: du vin nouveau dans de vieilles outres, Schengen et Dublin en pratique : questions actuelles, p.279. Lire aussi The Protection of Family Unity in Dublin Procedures: Towards a Protection-Oriented Implementation Practice, October 2019, Université de Lausanne.
  6. 20.3143 Mo. CIP-CN. Accueil de réfugiés en provenance de Grèce et réforme des accords de Dublin.
  7. Alexandra Dufresne est avocate pour les réfugiés et les enfants. Elle a enseigné le droit de l’immigration et des réfugiés à Yale de 2006 à 2015 et enseigne actuellement le droit dans plusieurs établissements d’enseignement supérieur en Suisse. Elle a siégé ou siège actuellement au conseil d’administration de plusieurs ONG de services aux réfugiés aux États-Unis et en Europe: IRIS, Asylos et New Women Connectors. Elle écrit fréquemment sur le droit et la politique. 

 

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