Norbert Valley: «Ce que j’aimerais dire aux juges». — Le temps des réfugiés

Photo © BNJ

Ce billet a été écrit pour le blog Le temps des réfugiés (Le Temps) – En ligne le 9 mars 2020.

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Le pasteur du Locle, Norbert Valley, est accusé d’avoir facilité le séjour illégal de Joseph (1), un ressortissant togolais débouté de l’asile. Condamné en août 2018 par ordonnance pénale pour avoir offert quelques nuits au chaud et des repas à l’homme en détresse, le pasteur a écopé de 1000 francs d’amende et de frais de justice. Au lieu de l’innocenté, le Ministère public neuchâtelois a confirmé sa condamnation en avril 2019 en vertu de l’article 116 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) qui punit celui qui facilite le séjour illégal d’un étranger.

Son audience au Tribunal de police de la Chaux-de-Fonds est ce jeudi 12 mars. On espère qu’il décidera d’innocenter Norbert Valley puisqu’il a agit conformément à l’article 12 de la Constitution fédérale selon lequel une personne dans une situation de détresse et incapable de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et le droit de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine (2).

Il y a quelques jours, le Parlement s’est opposé à la modification de l’article 116 LEI malgré les centaines de condamnations injustes qui en résultent chaque année (3). Ce sont donc aux tribunaux suisses de juger chaque cas (4). C’est problématique pour deux raisons: tout le monde n’est pas en mesure de financer des recours et beaucoup de personnes condamnée pour “délit de solidarité” sont des étrangers qui héritent d’un casier judiciaire, un obstacle de taille pour obtenir un permis B ou C.

Pour Olivier Bigler son avocat, ce qu’a fait Norbert Valley « ne tombe pas sous le coup de l’art. 116 LEI qui punit celui qui facilite le séjour illégal, donc celui qui empêche l’expulsion d’un étranger, par exemple en lui fournissant une cachette. Norbert Valley ne voulait pas empêcher l’expulsion, il était au contraire présent avec Joseph qu’il a accompagné au service des migrations. Il a fait son travail de pasteur. Là on parle de la mise à disposition d’un local d’église qui était public dans lequel Joseph ne venait que de façon sporadique. Donc on parle d’un devoir minimum d’humanité et non pas d’une facilitation du séjour illégal.”

A la veille de son audience, Norbert Valley a partagé avec moi sa tristesse et sa révolte devant une loi inique qui pousse à la clandestinité et à la criminalité et condamne des gens qui ont le bon réflexe, celui de venir en aide à des femmes et des hommes qui rôdent entre une grotte, une cabane, une cave à la recherche de nourriture et de soins en refusant encore et encore de basses propositions de prostitution, de deal ou de rôles  pour des films pornographiques.

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Norbert Valley, comment vous sentez-vous une semaine avant l’audience?

Je ne présume de rien. Si on fait une application stricte de la loi, le tribunal va maintenir la condamnation. Ce serait plutôt une surprise d’être acquitter, le Ministère public neuchâtelois aurait pu laisser tomber il y a une année, mais la procureur a décidé de me renvoyer devant le tribunal.

Gerard Pfister le président du PDC a dit que les tribunaux peuvent aussi décider de ne pas condamner. Le problème c’est que l’article 116 LEI est une épée de Damoclès qui ne distingue pas entre les passeurs professionnels et ceux qui agissent pour des motifs humanitaires.

C’est une pression sur celle et ceux qui veulent aider et ça c’est pour moi juste inimaginable. Je rencontre des gens toutes les semaines qui vivent des situations impossibles. C’est déjà redoutable de croiser le regard de quelqu’un en détresse dans une situation de vie catastrophique. Si on nous condamne encore, mais alors on nous achève et ça c’est intolérable, c’est insupportable. Je n’arrive bientôt plus à supporter ça.

Que reprochez-vous à l’article 116 LEI qui condamne le “délit de solidarité”?

Payer des jours amendes finalement ce n’est pas énorme, mais on est très dissuadé d’aider une autre personne si l’occasion se représente. Quand vous voyez que 600 condamnations concernent des étrangers, probablement des membres de la famille des migrants qui ne peuvent pas laisser leurs soeurs et leurs frères sans nourriture et sans toit. Moi je suis citoyen suisse alors je ne risque pas d’être expulsé.

Le problème c’est qu’en Suisse nous n’avons pas de Cour constitutionnelle donc c’est le parlement qui fait le boulot mais le parlement est politisé et on a une droite dure (…) Les juges sont nommés en fonction de leur parti et donc il n’y a pas non plus d’indépendance des juges. Joseph lui-même a été jugé par Gérald Bovier, un juge UDC au Tribunal administratif fédéral (TAF).

En 2018 se sont seulement 32 cas sur 972 condamnations qui concernent des passeurs, la loi n’atteint pas sa cible. Cette loi actuelle est inconstitutionnelle, puisqu’elle condamne les aidants alors que l’article 12 de la Constitution fédérale nous dit que quiconque est dans la détresse a droit à une assistance.

Comment voyez-vous l’avenir?

C’est un combat de David contre Goliath. Je suis de plus en plus en colère. Moi je vais faire recours, j’ai toujours dit que j’irai jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme mais ça coûte cher financièrement parlant et en énergie. Ça c’est une pression. J’aurais besoin de vacances après le procès, c’est émotionnellement éprouvant, usant.

Si vous aviez un message à faire passer?

Ce que j’aimerais faire comprendre aux juges c’est que c’est déjà stressant de confronter les gens dans la détresse. Moi je travaille à 80%, je ne gagne pas des milles et des cents, ce que j’ai fait envers Joseph je l’ai fait avec mes deniers, mais le fait d’être face à des situations aussi difficiles c’est émotionnellement usant. Alors moi j’ai la prière, j’ai la parole de Dieu, c’est une ressource, je reçois l’encouragement du Seigneur. Je garde en moi ce qu’a dit Primo Lévi en sortant d’Auschwitz. Il a dit “au delà de l’assiette de soupe que vous donner à quelqu’un c’est le geste qui compte” et ça ça nous encourage. Il faut être dans le geste être dans l’amitié. J’estime que j’ai fait très peu de chose pour mon ami Joseph.

Comment se porte Joseph?

Joseph ne sait jamais le matin où il va dormir, ce qu’il va manger, il y a des jours où il ne mange pas, quelques fois il dort dans une cave, on lui a proposé de vendre de la drogue, de coucher avec des femmes, toutes sortes de choses…En faisant cela, la Suisse pousse les gens dans la délinquance. Joseph m’a dit: “si je n’avais pas ma foi chrétienne, je serai peut-être tomber dans le panneau.”

Joseph apparaît en conversation avec moi et un des journalistes dans le film “Délit de Solidarité” qui sera diffusé sur la RTS ce jeudi 12 mars. Aujourd’hui je ne sais pas où il est.

Est ce que vous êtes bien entouré?

Je suis très reconnaissant des gens qui sont derrière moi. Il y a un groupe qui s’est constitué de manière très spontanée qui s’appelle le groupe Saint-François. Créée à l’Eglise Saint-François à Lausanne. Ensuite il y a Amnesty International, il y a le réseau évangélique dont j’ai été le président, il y a des pasteurs donc j’ai pas mal de gens, il y a aussi les trois organisations d’Eglise en Suisse, la conférence des Eglise réformées de Suisse et le réseaux évangélique suisse ont demandé l’annulation du délit de solidarité.

Avez-vous besoin de soutien financier pour poursuivre le combat judiciaire?

Bon on verra bien selon comment ça se passe. Pour l’instant j’ai reçu du soutien. Jusqu’à présent ça va mais si je dois aller jusqu’à Strasbourg ça peut aller jusqu’à 15 à 20’000 francs. Mais je ne lâcherais pas.

***

Depuis le début de la procédure, Norbert Valley doit assumer des frais d’avocat importants en lien avec cette procédure judiciaire. Jusqu’à présent il a reçu le soutien d’Amnesty International Suisse, du Groupe de Saint-François qui lui a avancé de l’argent. Actuellement, Norbert Valley s’attend à des frais de justice avoisinant les 5’000 francs. Un fonds de soutien a été ouvert afin de financer les frais de justice. Voici les coordonnées du fonds de soutien à Norbert Valley :

CH31 0900 0000 1720 3655 7
Danilo Gay- 1052 Le Mont-sur-Lausanne
Mention : Norbert Valley

***

  • Voir absolument: « Délit de solidarité/Assistance à personne en danger: un crime? » de Frank Preiswerk, Suisse, 2019, diffusé en première mondiale sur Temps Présent, RTS jeudi 12 mars 2020. 
  • Ecouter aussi l’émission radio Vacarme du 27.2.2020: « DELIT DE SOLIDARITE 2/5 – Cacher et ne pas sʹen cacher« .  Reportage: Tristan Miquel, Réalisation: Matthieu Ramsauer, Production: Véronique Marti.

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  1. Nom d’emprunt
  2. Article 12 de la Constitution fédérale.
  3. Lire les précisions ici. L’enquête d’Amnesty international dans huit pays européens (Suisse, Croatie, France, Grande-Bretagne, Grèce, Espagne, Italie, Malte) montre que la Suisse est bien trop sévère avec les individus qui aident les sans-papiers. En 2018, 972 personnes ont été condamnées pour infraction à l’article 116 de la Loi sur les étrangers. L’écrasante majorité de ces condamnations ne visait pas des passeurs ou des trafiquants d’êtres humains (32 cas sont considérés comme «aggravés»), mais des individus qui ont agi par simple solidarité.
  4. La Chambre basse du Parlement (Conseil national) a refusé mercredi de modifier la Loi sur les étrangers. Une initiative parlementaire de Lisa Mazzone proposait d’ajouter une exception à l’article 116, afin que les personnes venant en aide aux sans-papiers pour «des mobiles honorables» ne puissent pas être condamnées. Elle a été balayée par 102 voix contre 89 et une abstention. Lire les arguments contre une modification dans le Rapport de la Commission des institutions politiques du 23 janvier 2020.
  5. Interview sur RFJ.

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Depuis le début de la procédure, Norbert Valley doit assumer des frais d’avocat importants en lien avec cette procédure judiciaire. Jusqu’à présent il a reçu le soutien d’Amnesty International Suisse, du Groupe de Saint-François qui lui a avancé de l’argent. Actuellement, Norbert Valley s’attend à des frais de justice avoisinant les 5’000 francs. Un fonds de soutien a été ouvert afin de financer les frais de justice. Voici les coordonnées du fonds de soutien à Norbert Valley :

CH31 0900 0000 1720 3655 7
Danilo Gay- 1052 Le Mont-sur-Lausanne
Mention : Norbert Valley

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  • Voir absolument: « Délit de solidarité/Assistance à personne en danger: un crime? » de Frank Preiswerk, Suisse, 2019, diffusé en première mondiale sur Temps Présent, RTS jeudi 12 mars 2020. 
  • Ecouter aussi l’émission radio Vacarme du 27.2.2020: « DELIT DE SOLIDARITE 2/5 – Cacher et ne pas sʹen cacher« .  Reportage: Tristan Miquel, Réalisation: Matthieu Ramsauer, Production: Véronique Marti.

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  1. Nom d’emprunt
  2. Article 12 de la Constitution fédérale.
  3. Lire les précisions ici. L’enquête d’Amnesty international dans huit pays européens (Suisse, Croatie, France, Grande-Bretagne, Grèce, Espagne, Italie, Malte) montre que la Suisse est bien trop sévère avec les individus qui aident les sans-papiers. En 2018, 972 personnes ont été condamnées pour infraction à l’article 116 de la Loi sur les étrangers. L’écrasante majorité de ces condamnations ne visait pas des passeurs ou des trafiquants d’êtres humains (32 cas sont considérés comme «aggravés»), mais des individus qui ont agi par simple solidarité.
  4. La Chambre basse du Parlement (Conseil national) a refusé mercredi de modifier la Loi sur les étrangers. Une initiative parlementaire de Lisa Mazzone proposait d’ajouter une exception à l’article 116, afin que les personnes venant en aide aux sans-papiers pour «des mobiles honorables» ne puissent pas être condamnées. Elle a été balayée par 102 voix contre 89 et une abstention. Lire les arguments contre une modification dans le Rapport de la Commission des institutions politiques du 23 janvier 2020.
  5. Interview sur RFJ.

Photo © BNJ Le pasteur du Locle, Norbert Valley, est accusé d’avoir facilité le séjour illégal de Joseph (1), un ressortissant togolais débouté de l’asile. Condamné en août 2018 par ordonnance pénale pour avoir offert quelques nuits au chaud et des repas à l’homme en détresse, le pasteur a écopé de 1000 francs d’amende et…

via Norbert Valley: «Ce que j’aimerais dire aux juges». — Le temps des réfugiés

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