Pourquoi la décision de levée de l’admission provisoire pour 3’200 érythréens est prématurée

Article initialement publié sur le blog Le temps des réfugiés (Le Temps).

Interviewé récemment par Le Temps, Mario Gattiker, Secrétaire d’Etat aux migrations (SEM) estime que le renvoi de milliers d’érythréens admis à titre provisoire est licite. Il explique que la levée d’admission provisoire concernera uniquement les personnes qui ont déjà effectué leur service militaire obligatoire avant de quitter l’Erythrée ou qui disposent du statut de «membre de la diaspora» défini par Asmara. Ce sont 3’200 érythréens sur un total de 9’400 personnes admises à titre provisoire et sans statut de réfugié qui sont visées.

La faute au Tribunal administratif fédéral

Pour justifier ce changement de politique, le SEM se base sur un arrêt de principe du Tribunal administratif fédéral (D-2311/2016) du 17 août 2017. Cet arrêt juge le retour d’une femme érythréenne licite et exigible. Pour le tribunal cette femme a déjà effectué son service militaire et ne risque pas de devoir être à nouveau enrôlée ni condamnée pénalement pour avoir déserté l’armée, fait qu’elle n’avait pas, selon les juges, rendu vraisemblable. Comme l’Erythrée ne connaît pas une situation de violence généralisée, un retour dans ce pays est généralement exigible. Le communiqué de presse du TAF précise que “l’arrêt D-2311/2016 analyse la situation en Érythrée et porte une appréciation juridique qui dépasse le cas d’espèce et s’applique de manière générale pour une pluralité de procédures.”

Le SEM doit attendre la décision du Comité contre la torture

Ainsi le SEM estime que l’heure est venue de s’en inspirer alors que le cas a été porté devant le Comité des Nations unies contre la torture (CAT) et est en cours d’examen. La Suisse a d’ailleurs suspendu le renvoi de la personne concernée en attente de la décision finale du CAT.

Il est donc très étonnant que le SEM déclare pouvoir renvoyer 3’200 érythréens sur la base d’une décision que le CAT pourrait contredire et jugé contraire à la Convention contre la torture. Le cabinet d’avocat Advokatur Kanonengasse mandaté par la ressortissante érythréenne vient d’adresser une lettre dans ce sens à la Conseillère fédérale, Madame Simonetta Sommaruga. Le message est simple: aussi longtemps que la question de la conformité des conclusions de l’arrêt D-2311/2016 avec cette convention n’est pas tranchée, il est certainement prématuré et injustifié d’envisager la levée des admissions provisoires octroyées aux ressortissant érythréens visés par le SEM.

Aucun renvoi possible vers… un trou noir

En réaction à un jugement antérieur du TAF en janvier 2017, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) dénonçait le manque d’informations prélevées sur le terrain en Erythrée et de manière absolument indépendante. Un trou noir qui ne permet aucun renvoi. Dans son dernier communiqué l’OSAR demande à la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga de renoncer immédiatement au réexamen de l’admission provisoire des Erythréens et précise qu’il n’apporte aucune solution puisque les personnes concernées seront placées sous le régime de l’aide d’urgence et resteront en Suisse.

Et récemment Denise Graff, coordinatrice asile à Amnesty international déclarait: “Le Tribunal administratif fédéral a souligné à maintes reprises que nos autorités ignoraient beaucoup d’éléments par rapport à la situation dans ce pays. Tant que les délégations de l’ONU – sans parler des organisations de défense des droits humains – ne sont pas autorisées à voyager en Erythrée, et que nous ne savons pas ce qui se passe réellement avec les personnes renvoyées, la Suisse ne peut pas expulser de demandeurs d’asile dans ce pays.”

 

Laisser un commentaire